La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Il était 5h45 lorsque Valda ouvrit les yeux et se débarrassa de sa couverture blanche, soucieuse de ne perdre aucune seconde. Chaque jour, elle s’imposait une routine précise et presque sacrée, inscrite dans un évangile dont seule Valda connaissait les grandes lignes. Elle prenait un soin religieux à compléter chaque tâche sur son emploi du temps restreint, incapable de déroger à ses propres règles. Les activités s’empilaient mais l’étudiante mettait un point d’honneur à toutes les effectuer, presque malade lorsqu’un détail échappait à son contrôle. Assurément, Valda souffrait de perfectionnisme mais le vivait très bien.
Dans un mouvement d’une souplesse féline, elle s’étira longuement en faisant rouler chaque vertèbre de sa colonne vertébrale, laissant s’échapper un bâillement fatigué. Sa longue chevelure blonde, presque argentée à la lueur du matin, dégoulinait le long de ses épaules graciles. Elle jeta un coup d’oeil dehors, balayant son regard sur les jardins assombris. L’aurore aux doigts de roses parut alors, peignant l’horizon d’un éclat cramoisi. Ce soupçon de couleur la revigora et Valda s’élança hors de son lit, s’apprêtant d’un legging et d’un débardeur aux tons gris.
La première étape sur une longue liste d’occupations fut son jogging habituel. Valda l’effectuait toujours aux alentours de six heure, afin d’éviter les piaillements de ses camardes et profiter de la quiétude matinale. Seuls les soubresauts de la nature venait tromper ce silence d’or, une symphonie que Valda se plaisait à écouter en filant le long des pins émeraudes. Rester active lui permettait de conserver sa silhouette fine et toute en courbes élancées, mais surtout de se vider l’esprit. Il y avait quelque chose de grisant à redoubler d’effort aux premières lueurs du jour et n’entendre que le rythme de son souffle erratique. Elle empruntait toujours le même chemin, serpentait entre les mêmes arbres, et foulaient les mêmes sentiers. Valda était d’une nature prévisible, loin de la spontanéité de son frère jumeau. Tout dev$ait se trouver à sa juste place et suivre la même trajectoire, sans quoi elle devenait livide. Son inflexibilité et son attrait pour les règles ne faisaient pas l’unanimité auprès de ses camarades, qui se demandaient bien comment cette fille au tempérament hivernale pouvait appartenir à la même famille que le fameux Adriel. Pire encore, être jumeaux et partager les mêmes traits.
Mais Valda n’écoutait pas les ouïes-dires et préférait largement la solitude et le calme de son unique présence. Terriblement arrogante, elle trouvait insipides les conversations des gens de son âge et ne voulait pas se mêler à cette masse abrutie par les réseaux sociaux et autres nouveautés. Elle n’avait besoin que d’une seule personne dans sa vie et il s’agissait d’Adriel.
Ses semelles s’enfonçaient dans le moelleux de la terre encore humide alors qu’elle regagna les dortoirs. La sueur perlait le long de sa nuque tandis qu’elle s’éclipsa dans les confins immaculés de sa douche. Sa toilette était longue et calculée à la minute près, car Valda se devait d’apparaitre parfaite en toutes circonstances. Non pas par coquetterie mais par pure envie d’afficher sa supériorité et son élégance au monde entier. Sa beauté naturelle lui facilitait certainement la tâche mais il fallait plus que ça pour paraitre d’une sainteté intouchable. Elle prit soin de manucurer ses ongles et de repasser son uniforme d’un bleu royal, puis de coiffer sa longue chevelure en une cascade soyeuse. Fin prête, elle contempla son reflet avec une satisfaction suffisante et quitta sa chambre.
Sa routine matinale touchait à sa fin mais la dernière étape était de loin la plus importante. De toutes les activités composant ses journées, retrouver son jumeau était celle qui lui procurait le plus de plaisir. Se faufilant dans l’entrebâillement de sa porte avec discrétion, elle prit soin de la refermer afin d’éviter les regards indiscrets. Valda ne partagerait ces moments d’intimité avec personne d’autres, possessive et certainement pas raisonnable lorsqu’il s’agissait d’Adriel.
Son apparence négligée et sa risette espiègle la firent fondre comme de la glace face à la chaleur de l’été. Mais Valda ne perdit pas sa contenance et se contenta d’un roulement des yeux exagéré lorsqu’il enroula sa cravate autour de sa nuque.
Même si tu l’avais entendu, tu ne te serais pas pressé.Elle commença à boutonner sa chemise avant de remettre la cravate à sa juste place. Ses doigts s’affairèrent avec le noeud tandis que ses prunelles l’observaient distraitement. Ce visage qui faisait reflet au sien, cette crinière dont les boucles tombaient paresseusement et ce regard d’un bleu océanique. Même désordonné, Adriel était parfait et Valda s’accorda un instant de contemplation, juste assez pour détailler la finesse de ses traits et ne pas se faire attraper. Un éclat d’affection effaça son air austère, émotion qu’elle ne montrait qu’à lui.
Je suppose que tu as bien dormi ? Quelle vie facile tu mènes, assez populaire pour que tous les professeurs te pardonnent un énième retard.Ses mots se voulaient sur le ton de la réprimande mais Valda ne pouvait pas cacher l’insolence dans son regard vermillon.